Bio
C'est peut-etre l'une des grandes lecons a retenir de sa sixieme livraison de courriers pour adultes : savoir desormais que l'achat d'un tapis epais peut s'averer determinante au point de dessiner la colonne vertebrale d'un disque. Bobo Playground, intitule provisoire a la bascule definitive. L'auteur-compositeur quadra, habitue a echanger, avec sa garde amicale rapprochee, de faux titres d'albums, s'est cette fois-ci fait cueillir par une evidence de choix. La faute ou grace a un message de sa compagne, apres reception de la photographie du fameux objet du quotidien : " C'est bien, on est vraiment des supers bobos ".
Puisque conforme a une realite assumee, Alexis HK decide ainsi d'en faire son terrain de jeu poetique et musical. Pas de round d'observation a l'abordage de la chanson d'ouverture eponyme, emballee par une pulsation ponderee de mia. Plan d'attaque au rasoir et traits d'esprit a destination de cette " gente aisee, parfois boucs emissaires " et " cible preferee du bourgeois reactionnaire ". Derouler volontairement du cliche, s'y inclure dedans. " J'ai toujours manque d'identite culturelle / Pas un fromage qui pue, un vin naturel / Affiche par la region ou j'ai grandi sans raison / Avec ecrit en gros ??Chevignon?? sur mon blouson ". Plus loin : " Et oui, on vit la vie de Oui-Oui / On fait flamber le prix du metre carre a Paris / Et les promoteurs nous font souvent de l?oeil / 500.000 euros le deux-pieces a Montreuil ".
Vingt-cinq ans de carriere, sans Bercy-Accor Arena ni trou d'air, des compagnonnages avec Renan Luce et Benoit Doremus, une bluffante reverence a Brassens, des incursions dans le repertoire jeune public. Ami fidele et precieux dans le paysage de la chanson, et pas uniquement de saison. Arbitre des elegances aussi, associe a de detonantes aptitudes de one-man-show qui provoquent une hilarite non denuee de profondeur dans la salle. De l'esprit, on le repete. Une precision textuelle, indeniablement. Alexis HK poursuit sa quete d'equilibriste sans user d'expedients. En foulee olympienne meme, ce retour du dandy baladin. Dans les jambes deja, un bel echauffement d'une vingtaine de dates au sein de lieux affectionnes et intimes (timing dont il a pris le pli depuis la percee Brassens). Un solo a deux guitares. Y retrouver, sur scene comme en studio, le fringant complice multi-instrumentiste et co-realisateur Sebastien Collinet (un batteur et un bassiste entrent dans la ronde pour la tournee dite officielle).
Le changement dans la continuite. Parce que l'humeur de ce disque-la se calque aux antipodes de Comme un ours, paru en 2018 (agremente d'une captation live deux ans plus tard) et traverse d'une noirceur societale, d'une solitude subie ou choisie, d'un desarroi acidule ainsi que d'un decorum acoustique sous couvert d'instruments traditionnels. Ce cheminement d'ombres pour aller percer la lumiere trouve donc son parfait contre-pied sur Bobo Playground. S'extirper d'une certaine torpeur et s'eloigner des zones grises. Si la langue francaise est a nouveau si bien courtisee, le bel affranchi s'autorise ici a faire sauter quelques cadenas. Disque de hipster, mouvant, vivant, au groove hospitalier. Qui se pare d'une production aux effluves hip hop et d'une pregnante elasticite vocale. Parfois ragga, parfois synthetique (Elle te kiffe, morceau a la tendresse diffuse). Toujours, bien sur, cette eloquence a plusieurs detentes de conteur, cette finesse a hauteur d'homme, cette elocution altiere. Flow en verve et rythmiques syncopees irriguent le repenti d'un anarchiste tiraille entre son positionnement d'animal sauvage et d'animal domestique (Qui l'eut cru) tandis que la voix de crooner humectee par la secretion de sa glande nonchalante eclaire a la bougie les couplets melancoliques de Partenaire Particulier, reprise heureuse. Il y a la des chansons de Jacquouille la fripouille ((no) knight) et de songes peu exaltants (Reve de nul), de la deconnante politique-fiction dans laquelle il imagine Trump en prise notamment avec une strategie de developpement durable et hebergeant les migrants dans des hotels de luxe (Le tweet). Il y a encore les echappees belles promises a un age charniere (J'ai 18 ans), l'aura reconfortante de la maison de Carima isolee au milieu d'un tas de gratte-ciel et menacee de destruction. Ou la projection jubilatoire d'un artiste urbain en EHPAD (Comme un rappeur).
Au-dela d'une variation autour de la bobo sphere, Alexis HK arrime surtout la division des privileges a la fragilite des consciences humaines. En declivites. Il est aussi la, l'art de ce garcon, a nous embarquer au sein de balises definies, a en faire un echo jamais excluant, a s'imposer dans la sociologie du gout, des sensibilites et des clins d?oeil. Constat couperet du bonheur, en fin de parcours, avec Fille de l'air concue dans la meme dynamique que Le dernier present. Puis ciel noir au-dessus des trottoirs de la capitale. Ville lumiere, chanson aussi essentielle que necessaire pour ramener a la raison.
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